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Le rapport de la consultation publique sur le racisme et la discrimination systémique en questions

<p>Au terme d'un processus qui débuta en 2018, le rapport de la consultation publique sur le racisme et la discrimination systémique dans les compétences de la Ville de Montréal est maintenant public.&nbsp;</p> <p>Comment le processus a-t-il commencé? Quelles en ont été les étapes marquantes? Et que dit ce volumineux rapport?&nbsp;</p> <p>Dominique Ollivier, présidente de l'OCPM fait le portrait de cette consultation en quelques questions.</p>

Au terme d'un processus qui débuta en 2018, le rapport de la consultation publique sur le racisme et la discrimination systémique dans les compétences de la Ville de Montréal est maintenant public. 

Comment le processus a-t-il commencé?

Quelles en ont été les étapes marquantes?

Et que dit ce volumineux rapport? 

Dominique Ollivier, présidente de l'OCPM fait le portrait de cette consultation en quelques questions.

 

Comment cette consultation a-t-elle vu le jour? 

En mars 2018, un collectif citoyen formé d’individus et d’organismes a lancé une pétition pour demander à la Ville de tenir une consultation publique sur le racisme et la discrimination systémiques. Les porte-paroles se disaient préoccupés par une série de sujets, notamment l’absence d’une politique municipale de la lutte contre le racisme et la discrimination systémiques; la disparité raciale au niveau du chômage et de la pauvreté à Montréal; la criminalisation disproportionnée et l’iniquité de traitement dans le système de justice municipal; la disparité d’accès aux ressources sociales, sportives et culturelles et le manque de représentativité politique des minorités racisées et des autochtones à Montréal.

En trois mois, ce collectif a réuni plus de 22 000 signatures sur papier, qui ont mené, en août 2018, à l’octroi d’un mandat à l’Office de consultation publique en vertu du droit d’initiative prévu à la Charte montréalaise des droits et responsabilités. 

 

En quoi a consisté l’exercice qui mène à ce rapport? 

Le sujet est sensible et complexe. En délimiter les contours n’a pas été facile. D’autant plus, que notre commission n’est pas une commission d’enquête.  Son mandat était plutôt de dresser un portrait de la situation, de stimuler les contributions citoyennes pour faire émerger des solutions porteuses ainsi que des initiatives concrètes à insérer dans les politiques et programmes qui dépendent de la Ville de Montréal. C’est pourquoi nous nous sommes déployés sur le terrain, nous avons visité la plupart des arrondissements de Montréal et avons exploré des secteurs d’activités qui nous apparaissaient plus problématiques. Des 7000 participations recensées, ce sont plus de 1000 personnes qui ont partagé leurs réflexions et soumis des pistes de solutions concrètes. Parmi elles, on retrouve des simples citoyens, des fonctionnaires de la Ville ou des arrondissements, des représentants d’organismes, des chercheurs universitaires, des experts de divers horizons qui, toutes et tous, ont alimenté pendant près de quinze mois les travaux de la commission.  

Pourquoi est-ce que cela a été aussi long? 

Au moment où nous avons reçu le mandat, la Ville ne disposait d’aucune compilation de ses interventions liées à la lutte au racisme et à la discrimination. Il aura fallu sept mois au Service de la diversité et de l’inclusion sociale (SDIS) pour produire, en guise d’état des lieux, un portrait volumineux, mais loin d’être complet, des actions de la Ville en ces matières. Pendant ce temps, la commission a visité 16 des 19 arrondissements pour entendre les fonctionnaires, les institutions et organismes du milieu afin de brosser un premier portrait de la situation telle que vécue sur le terrain. Nous ne voulions pas que cette consultation se transforme en un tribunal. La beauté du droit d’initiative est de mettre l’intelligence collective au travail pour trouver des solutions concrètes à des problèmes collectifs. C’est pourquoi nous avons misé sur différentes techniques : panels de spécialistes, activités contributives dans les milieux de vie, échanges avec les responsables de l’administration municipale, opinions orales et écrites pour faire émerger un état des lieux et des pistes de solutions élaborés en concertation avec la population. 

 

Qu’est-ce qui distingue ce rapport des autres sur le sujet? 

Il faut souligner que ce débat s’est fait de façon constructive et sereine. Pendant les quinze mois qu’a duré cet exercice, la commission a été aux premières loges pour constater combien les enjeux du racisme et de la discrimination systémiques dans les compétences de la Ville sont sensibles et délicats. Ces sujets provoquent à la fois des sentiments de malaise, de frustration, d’impuissance et d’espoir. Les témoignages sont poignants, dérangeants, nous questionnent comme société. Les solutions et les pistes porteuses foisonnent aussi. Ce qui en dit beaucoup sur la maturité de notre collectivité.  

Ce rapport n’est pas une analyse sociologique ou une recherche scientifique. Ce n’est pas non plus une enquête. C’est le résultat de réflexions et d’analyses citoyennes sur une problématique complexe qui traduit un désir collectif de faire mieux pour atteindre, dans les faits, l’équité entre tous les citoyens. Il contribue au vaste ensemble de documentation sur ces thématiques et s’appuie sur une mine riche de témoignages, de recherches, de suggestions raisonnées ainsi que de références à des expériences d’ici et d’ailleurs. 

L’Office est une aide à la décision publique et ses recommandations peuvent orienter l’action municipale. C’est pourquoi les commissaires se sont attelés à les rendre aussi précises que possible et à y attacher un horizon de réalisation. 

 

Depuis quelques jours, on assiste à un débat sur le caractère systémique du racisme. Que dit le rapport à ce sujet? 

Notre société est parfois réticente à nommer certaines réalités. Notre consultation portait sur les inégalités qui résultent de l’interaction entre des pratiques organisationnelles et des comportements teintés de biais ou de préjugés qui désavantagent les personnes racisées et les personnes autochtones. En clair, la consultation analysait un système qui parfois, même involontairement, perpétue certains avantages dont a bénéficié la population blanche. Ce phénomène a des racines ancrées dans de graves injustices historiques qui contribuent à maintenir des désavantages économiques et sociaux. Pensons à la dépossession des nations autochtones, au colonialisme, à l’esclavage, au traitement inique qu’ont connu certains immigrants au début du XXe siècle. Parfois, même lorsque ces phénomènes n’étaient pas à leur paroxysme au Québec, ils ont néanmoins nourri des préjugés et des stéréotypes associés à des groupes autochtones, noirs, arabes, asiatiques, etc., qui se traduisent en des biais discriminatoires, entre autres sur le plan de l’emploi, de la culture ou de l’intervention policière.   

Il n’y a aucun doute dans l’esprit de la commission, le racisme systémique existe à Montréal, et tant que la Ville ne le reconnaîtra pas, elle se prive de se questionner adéquatement au sujet de ses pratiques. Une telle attitude est susceptible de perpétuer des inégalités car on ne peut s’attaquer efficacement à un phénomène dont on ne reconnaît pas l’existence ou qu’on refuse de nommer! 

 

Qui est touché par le racisme et la discrimination systémiques? 

Pour les besoins de cette consultation, la commission en a analysé les effets sur les personnes racisées. Cette expression englobe les personnes nées au Canada ou pas, qui appartiennent à un groupe racial ou à un groupe minoritaire sur le plan culturel, linguistique, social ou religieux. Rappelons-nous qu’à Montréal, selon les données de 2016, plus du tiers de la population montréalaise, s’identifie à une minorité visible et que 59 % de la population est née à l’étranger ou a un parent né à l’étranger.  

De plus, dans le contexte montréalais et québécois, les personnes autochtones vivant en milieu urbain subissent aussi du racisme et de la discrimination. La commission, tout en ne les incluant pas dans le vocable « personnes racisées », les englobe dans le périmètre de la consultation et fait des recommandations sensibles aux enjeux particuliers que vivent ces personnes. 

Finalement, la perspective intersectionnelle, a permis d’analyser d’autres formes de discrimination, telles celles liées à la situation de handicap ou à la condition sociale, dans la mesure où elles se croisent à la discrimination basée sur la « race », la couleur, la religion et l’origine ethnique ou nationale. 

Quels sont les principaux constats du rapport? 

La commission a analysé les multiples interventions mises de l’avant par la Ville et constate que de nombreuses ressources sont consacrées à l’accueil des nouveaux arrivants et à l’amélioration du vivre-ensemble. Néanmoins, la lutte au racisme et à la discrimination touche bien plus que les nouveaux arrivants. Des personnes nées ici, des groupes racisés et des populations autochtones sont largement affectés par ces phénomènes. Et pour ces personnes, les actions de la Ville visant à corriger les iniquités dont elles peuvent être victimes font figure de parent pauvre. 

Dans ses documents de référence et ses présentations devant la commission, la Ville a rappelé qu’elle rejette sans équivoque toute forme de racisme et de discrimination et qu’elle s’engage de façon claire dans des déclarations, des motions et des plans d’action, à les combattre. Toutefois, on en reste au niveau des discours. Les divers témoignages entendus et l’analyse des documents mis à la disposition des commissaires révèlent des lacunes en ce qui a trait aux données, à la culture d’évaluation, à l’imputabilité et à la reddition de compte. Il y a un solide redressement à effectuer, conjuguant perspective et prospective.  

Par ailleurs, la thématique la plus évoquée, tout au long du processus de consultation, a été le profilage racial et social. Les interventions ont mis en relief les sentiments d’atteintes à la dignité, la déshumanisation et la peur des forces de l’ordre à Montréal. La commission considère que le profilage sévit au sein du SPVM et qu’il constitue une violence dirigée envers certains groupes racisés et envers des personnes autochtones vivant à Montréal. Toutefois elle reste convaincue que ce phénomène va demeurer tant et aussi longtemps que la culture organisationnelle du service de police de Montréal ne sera pas fondamentalement remise en cause. 

Il en va de même pour le secteur de l’emploi. Il est indéniable que la Ville de Montréal est un employeur majeur et influent sur le territoire. La question des discriminations systémiques en emploi et les difficultés vécues par les personnes autochtones, ainsi que par certains groupes racisés et ethniques en matière d’embauche, de promotion et de maintien en emploi sont largement documentées. Malgré plus de dix ans de plans d’action en accès à l’égalité en emploi, la proportion de personnes s’identifiant aux catégories minorité visible, minorité ethnique ou Autochtone embauchées comme cadre de direction à la Ville depuis 2016 est de 0 %. Moins de 2 % des cadres de direction déjà en poste s’identifient à ces catégories. Sachant que 25 % de la main-d’œuvre à la Ville sera admissible à la retraite d’ici 2025, il y a là une opportunité à ne pas rater de changer son visage et une invitation à gérer autrement. 

Finalement, la commission s’est penchée sur les inégalités territoriales. Elle constate qu’en matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire, de nombreux enjeux portés à son attention croisent les motifs de discrimination raciale et ceux de conditions sociales. On observe une grande concentration de personnes racisées dans les quartiers les plus pauvres qui reçoivent généralement moins d’investissements publics et de services municipaux. Ainsi, des situations qui semblent être des cas de profilage racial de jeunes dans certains quartiers pourraient en fait être des problèmes d’aménagement urbain et de logement. Les jeunes se retrouvent dans les parcs en dehors des heures permises, par exemple, parce que le logement familial est étroit ou insalubre. Ils sont alors ciblés par le SPVM parce qu’ils contreviennent à un règlement municipal. En ce sens, l’aménagement du territoire devient l’écho visuel des inégalités présentes à Montréal. 

Quelles sont les principales pistes de solutions qu’on retrouve dans le rapport? 

Ce rapport a proposé 38 recommandations générales et thématiques pour orienter les décisions de l’administration municipale vers un changement en matière de lutte au racisme et à la discrimination systémiques qui sera positif pour l’avenir de Montréal. La première étape est de reconnaître le caractère systémique du racisme et de la discrimination tout en se donnant les moyens de comprendre et d’agir sur les mécanismes sous-jacents à ces phénomènes.  La reconnaissance, toutefois, doit être plus que symbolique. Elle demande des changements de structures et de l’imputabilité tant au niveau politique qu’administratif. 

Ce qu’il me semble qu’il faut retenir du rapport, c’est d’abord la responsabilité de mesurer et de questionner. Il faut cesser d’amalgamer les groupes et procéder à des analyses différenciées; prendre pour acquis que si des groupes sont sous-représentés ou surreprésentés dans certains secteurs, c’est qu’il y a des biais qui l’expliquent. Ensuite les trouver et y remédier. 

Ce n’est pas la première fois que cette approche sera utilisée pour redresser des inégalités.  Dans la foulée de la Commission Laurendeau-Dunton sur le bilinguisme et le biculturalisme, de nombreuses études ont été réalisées dans les années 60 pour mesurer les écarts entre les différents groupes composant la population canadienne. L'une d'entre elles portait sur l'écart de revenus entre les Canadiens français et les Canadiens anglais. 

« On attribue souvent cette faible mobilité ascendante à la scolarité plus courte des Canadiens français, mais des données convaincantes indiquent que celle-ci n'explique pas à elle seule l'écart de revenus entre anglophones et francophones. McRoberts (1983) cite une étude, basée sur le recensement de 1961, selon laquelle seulement 33 % de la différence de revenus entre Canadiens anglais et Canadiens français est attribuable au niveau de scolarité inférieur des seconds. Une répartition différente des groupes d'âge dans les deux populations est responsable de 6 % de l'écart, tandis que les 60 % restants sont le fait d'une nette préférence des employeurs anglophones pour les candidats anglophones. » 

Cela a donné lieu à toutes sortes de mesures correctrices. Dans le Montréal d'aujourd'hui, il est devenu urgent de se doter de chiffres qui parleront de façon tout aussi éloquente des écarts actuels entre les différents groupes composant la population. 

Ensuite, il ne faut plus se cacher derrière les grands discours. Il faut se donner des objectifs contraignants et mettre en place des façons de les atteindre. La Ville dit s’être donnée des objectifs d’embauche des minorités de 30 % et avoir été capable de les atteindre en six mois. Si c’est le cas, bravo. Mais il faut plus. Il faut aussi s’assurer que ce changement ne se manifeste pas que dans les postes temporaires ou précaires, mais bien qu’il se reflète dans l’ensemble de l’appareil, dans les postes permanents et dans les postes de direction. Des études montrent qu’une direction diversifiée rend les entreprises plus performantes et plus innovantes. À la fois car la diversification multiplie les sensibilités dans la prise de décision et parce qu’elle change les préjugés et la façon dont on perçoit les minorités. On ne peut pas décider équitablement lorsque de larges pans de population sont absents des lieux de pouvoir et des conversations. 

Finalement, il faut donner à la population la possibilité de suivre les progrès. À l’heure actuelle, la Ville ne semble pas analyser et évaluer comment ses diverses initiatives et programmes se complètent pour accroître l’inclusion et faire reculer la discrimination systémique. C’est un peu un cercle vicieux, comme on ne s’est pas donné d’objectifs précis, on ne peut évaluer l’action à partir d’indicateurs adaptés ce qui fait qu’on ne peut mesurer les résultats sur le plan systémique.  

Ces actions transversales doivent se conjuguer avec des interventions sectorielles en matière d’emploi, de culture, de logement, de lutte au profilage et aux inégalités sociales.  

Qui a le pouvoir d’agir? 

Tous les paliers de gouvernement ont un rôle à jouer pour combattre le racisme et la discrimination systémiques. Le fédéral et le provincial sont tenus, constitutionnellement, de se donner les moyens de réaliser leur mandat. C’est eux qui ont le plus de capacité d’intervenir pour imprimer un changement durable. Mais les municipalités ont aussi des responsabilités dans leurs champs de compétences, notamment par les programmes d’accès à l’égalité en emploi. Avec les récents changements à la Loi sur les compétences municipales, à celle sur l’aménagement et l’urbanisme et avec l’adoption de la Loi augmentant l’autonomie et les pouvoirs de la métropole du Québec, la Ville dispose d’importants leviers pour agir. Elle a également un rôle d’influence sur les gouvernements supérieurs et la capacité de faire des partenariats avec eux pour gérer des programmes comme c’est notamment le cas dans les domaines de la culture, de l’intégration des nouveaux arrivants et de l’emploi et de la solidarité sociale.  

Que va-t-il se passer maintenant? 

Le travail de l’Office est terminé. Il appartient à l’ensemble des personnes élues de décider des suites de notre rapport. Le règlement prévoit que le conseil municipal devra informer la population concernée des décisions qu’il a prises par rapport aux résultats de la consultation et des motifs qui ont guidé ses choix. Pour les autres dossiers de droit d’initiative, le délai de retour aux requérants a été d’environ trois mois. 

L’expérience nous montre que nos rapports sont aussi un outil pour la société civile qui peut par la suite, notamment lors des périodes de questions du conseil municipal ou des conseils d’arrondissement, questionner les décisions, demander des informations supplémentaires et garder la pression pour que les objectifs soient atteints. 

Tout au long de la consultation, plusieurs sont venus dire à la commission qu’ils attendaient de la Ville qu’elle exerce un leadership exemplaire en matière de lutte au racisme et à la discrimination systémiques. C’est d’ailleurs ce qu’on dit déjà de Montréal dans les grands forums internationaux. Il faut maintenant que la Ville se conforme plus entièrement à cette image avantageuse. Les événements des dernières semaines, que ce soient les conséquences de la pandémie mondiale ou les manifestations internationales qui ont suivi le décès de Georges Floyd à Minneapolis, montrent que tous ne sont pas égaux devant l’adversité. Ces événements créent un momentum favorable pour que la spécificité montréalaise soit concrètement reconnue, valorisée et soutenue afin que toutes et tous puissent se réaliser, contribuer et s’épanouir pleinement.