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Soumis par Louis-Alexandr… le ven 26/02/2016 - 13:52

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Planifier le territoire avec les habitants : comment conjuguer participation citoyenne avec gouvernance urbaine

De nombreux changements d’ordre sociopolitiques, économiques et technologiques incitent les pouvoirs démocratiques à changer la conception de leur rôle ainsi que leur rapport avec le citoyen. Crise de démocratie représentative, exigence de modernisation de l’action publique, diminution des moyens financiers et humains des municipalités; ce sont des enjeux nationaux qui touchent profondément le contexte de gouvernance urbaine. Les citoyens et la société civile créent et revendiquent de nouveaux espaces de participation. Ils ne se contentent plus d’une communication descendante et d’un pouvoir exercé uniquement aux élections; ils s’attendent à un échange d’information continu et bilatéral utilisant divers moyens de communication, incluant les réseaux sociaux. Dans ce contexte rapidement évolutif, les municipalités doivent s’adapter et être innovatrices. À l’ère du numérique, le concept de participation publique à la gouvernance est une orientation stratégique qui présente une piste de solution pour entrevoir autrement l’efficacité et les responsabilités des villes et atteindre des résultats collectifs satisfaisants. C’est l’expérience qu’a vécu et partagé la Direction de la Prospective et du Dialogue Public du Grand Lyon.

Qu’est-ce que la « ville servicielle » ?

Toute évolution sociétale modifie les modes de vie des individus. La démocratisation des technologies numériques facilite l’échange d’information et incite les individus, entre autres, à reformuler leurs attentes par rapport à l’espace et aux services urbains. La ville n’a plus le monopole sur les services publics traditionnels, car l’articulation de ce qui est de l’intérêt général doit être déterminée avec les citoyens, et non plus uniquement en leur nom. En France, le questionnement par rapport au rôle et aux responsabilités des villes se pose d’autant plus, car une réorganisation de la gouvernance territoriale redéfinit les compétences qui relèveront des nouvelles entités créées. « En parallèle, nous vivons une baisse des financements publics et de nouveaux modes de faire en action publique, avec de plus en plus de partenariats privés/publics, plus complexes à gérer », explique M. Houssais, Directeur de la Prospective et du Dialogue Public du Grand Lyon.

Le concept de ville servicielle se rapporte à une réorganisation du développement urbain autour d’un modèle de services et non plus d’infrastructures. Il propose une approche où l’action publique est mieux centrée sur le citoyen et répond de manière plus adéquate à ses besoins. Dans ce modèle, les citoyens sont perçus comme des consommateurs de services tels les transports en commun, les parcs et les bibliothèques, et également comme des contributeurs qui, au moyen d’interfaces numériques, participent au développement et à l’optimisation de ces services (p. ex. en contribuant à une base de données cartographiques collaborative sur leur ville, ou en promouvant un projet d’agriculture urbaine sur les réseaux sociaux).

La ville servicielle offre le potentiel à la ville de saisir la capacité des citoyens « à prendre du recul par rapport aux usages de leurs données privées, à consommer de manière critique et responsable, et même à s’impliquer pour coproduire leur environnement et les services urbains » (Hooge, 2014). Cependant, face à cette reconfiguration, la ville doit savoir repenser le territoire, adapter les transports et les autres offres de service, l’accès à l’information et les modes de gouvernance. Pensons ici au besoin de règlementer les services de partage de véhicules (automobile et bicyclette) ou de locations de vacances entre particuliers. Le processus soulève d’importantes questions d’ordre identitaire et fonctionnel. Les 15 et 16 octobre 2015, la Métropole de Lyon tiendra un forum sur le thème de la ville servicielle : « Des services ? Pour tous ? Par tous ? Tout le temps ? ». L’évènement permettra de réfléchir à des questions telles « Comment le serviciel participe à l’aménagement du territoire en étant une porte d’entrée autre ? Comment faire en sorte que cette ville servicielle réponde aux attentes du plus grand nombre ? Sans donner une réponse purement numérique et technique, en laissant l’humain au cœur des démarches ? En limitant les inégalités et sans en créer de nouvelles ? Quels impacts temporels voit-on émerger ? » Le thème de la ville servicielle est d’ailleurs abordé dans le dossier du même nom de la revue M3.

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De l’information à la construction collective

Soucieux de développer des approches qui laissent place à des interventions directes de la population, le Grand Lyon a beaucoup tenté et innové en matière de formes d'engagement citoyen. Cependant, au début c’était « dans la logique du : nous décidons à la fin », confie M. Houssais. La nécessité de remettre en perspective la dynamique entre l’État et le citoyen pour accorder plus de pouvoir décisionnel à ce dernier a mené la Métropole à effectuer un passage d’une approche de consultation à une logique de coproduction. « Coproduire avec quelqu’un c’est changer le rapport entre la représentation du problème et son traitement. On entre dans une discussion qui est horizontale », explique-t-il.

C’est justement dans le but de repenser l’engagement citoyen et d’avoir recours aux démarches de codesign pour renouveler les réflexions, les façons de faire, et apporter des solutions centrées sur le citoyen, que la Direction de la Prospective et du Dialogue Public du Grand Lyon s’est tournée vers la méthodologie « City Remix ».

Une méthodologie de cocréation, « City Remix » est utilisée pour expérimenter de manière collaborative et définir autrement l’usage et la relation qu’ont les citoyens avec un espace ou un service de la ville. Des équipes composées de citoyens de profils variés, d’innovateurs sociaux, de représentants d’institutions publiques, ainsi que de partenaires publics et privés, sont mobilisées pendant quelques jours pour imaginer de nouvelles fonctions et mettre au point des prototypes de services. L’espace choisi devient un « laboratoire temporaire d'innovation » et l’expérimentation permet de faire collaborer divers acteurs engagés, quelques-uns étant des usagers de l’espace revisité, afin de créer de nouveaux services dans un délai très court. « Gare Remix », le premier évènement de la sorte de la Direction de la Prospective et du Dialogue Public du Grand Lyon, visait innover dans les services proposés aux utilisateurs de la gare Saint-Paul à Lyon.

Cette démarche est utile dans un contexte où l’on cherche une contribution pratique par un petit groupe de citoyens. Elle innove dans sa capacité à réinvestir un espace ou un service public, et à demander aux citoyens de mettre leurs compétences au service de la ville. En revanche, pour sa mise en œuvre, la méthodologie « remix » requiert une quantité importante de temps, de ressources humaines et financières. À Lyon, de l’idée initiale à la tenue de l’évènement, dix mois se sont écoulés. « Cela a représenté le travail d’un chef de projet à temps plein, pendant cinq mois, pour le montage du projet, avec l’accompagnement d’une agence d'innovation urbaine », indique M. Houssais.

Pour créer et fabriquer des prototypes fonctionnels en peu de temps, il faut avoir mobilisé les personnes qui, par leur profil et/ou leurs compétences, savent appuyer la recherche de solutions. Il faut des compétences techniques complémentaires et parfois innovantes (p. ex. construction, numérique, design, danse et chorégraphie). Consultez les profils des coachs de Gare Remix, et des personnes ayant une connaissance de l’espace à revisiter et de ses fonctions, ou un intérêt à réfléchir aux problématiques identifiées. Il faut aussi les ressources matérielles et technologiques pour construire. Consultez les prototypes créés lors de Gare Remix. Dans le cas de Gare remix, 41 personnes ont collaboré pendant trois jours. Les participants étaient volontaires, mais les coachs qui appuyaient la conception et la fabrication opérationnelle des prototypes ont reçu un certain dédommagement pour leur participation.

La méthodologie « remix » est une aventure dynamique pour envisager autrement plutôt qu’un exercice pour discuter et bâtir un consensus. Suite aux journées de création, d’autres étapes sont nécessaires pour valider les prototypes auprès d’un public plus large, ou pour étudier la possibilité de les développer à une échelle plus large. À Lyon, le développement de services basés sur les prototypes les plus pertinents est envisagé par un des partenaires de Gare Remix, la Société nationale des chemins de fer français (SNCF), l'entreprise ferroviaire publique française. Ceci fournirait une opportunité entrepreneuriale pour les concepteurs des projets.

S’étant déroulée à la mi-avril 2015, le bilan de l'opération était toujours en cours de consolidation au moment de la rédaction de ce texte. Il sera publié sur le site. En revanche, l’engouement suscité et les retours spontanés des participants et des partenaires sur le déroulement de l’activité et les prototypes étaient positifs. Cette démarche a valorisé l’agir ensemble.

La méthodologie City Remix peut s’appliquer à tout lieu public ou semi-public, une gare, un parc, une piscine ou un centre social de la ville. Elle a déjà été utilisée pour des musées. La Direction de la Prospective et du Dialogue Public du Grand Lyon a d’autres idées pour répliquer l’usage de cette méthodologie, mais « il s‘agit d’un investissement humain et politique qui peut être important et ne doit pas être pris à la légère selon les sujets, notamment dans le champ de l’accueil de personnes fragiles », explique M. Houssais. Plus de précautions et un travail en profondeur pour cerner les problématiques à explorer seraient nécessaires pour aborder des enjeux plus sensibles.

Pas de solutions magiques

La notion de la ville servicielle crée un terrain fertile pour des innovations citoyennes et entrepreneuriales, mais peut-elle répondre à tous les défis d’ordre politique, sociologiques, économiques et environnementaux ? En plus de garder le pouls sur l’évolution sociétale et mettre à profit les nouvelles technologies, une grande responsabilité des autorités urbaines est alors de favoriser les échanges et relations directes entre les divers acteurs du territoire. Au moyen de nouvelles formes d'engagement citoyen, qui misent sur la collaboration, la ville doit passer d’une entité rigide à une qui est plus fluide, accessible et réceptive à la contribution citoyenne en amont de prises de décisions publiques.

Pour en savoir plus

  • Revue M3 ou  adresse alternative
    Tel que l’indique leur site Web, « M3 s'attache à faire le lien entre les questions concrètes et les questionnements théoriques, entre les problématiques de territoires et les approches globales du monde urbain. 100 pages au sein desquelles chercheurs et acteurs publics confrontent leurs idées. »
  • Gare Remix  et sa page Facebook
    Pendant trois jours 40 participants (artistes, riverains, bricoleurs, développeurs du numérique, des ingénieurs, étudiants, etc.) ont collaboré pour penser autrement la gare Saint-Paul à Lyon.

Retour sur les rencontres de l'Engagement citoyen

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